«Je comprends maintenant pourquoi Rilke s'enfuyait toujours loin d'un lieu, d'une ville, d'une femme. Dès qu'il commençait à sentir une trop grande intimité, un trop grand attachement, il lui fallait fuir pour se trouver seul avec lui-même. Il a vécu cent séparations. Et il pouvait se le permettre car il avait toujours une femme vers laquelle se tourner, dans ses moments de désespoir. Une femme qui, bien des années après, devint son épouse. Mais ma femme, cette femme, c'est la Lituanie. Le seul problème est que je peux seulement courir la rejoindre dans mes rêves. Ma solitude est immense, douloureuse, et sans espoir.» L'exilé intérieur qui couche son inconsolable tristesse sur un carnet en août 1950 ne sait pas encore qu'il sera, un jour, un cinéaste immense, diariste sentimental, le plus beau cadeau offert au cinéma expérimental.
Vapeurs. Pour l'heure, Jonas Mekas est un jeune poète, une semi-cloche, un saint qui, aux côtés de son frère Adolfas, a pris le bateau à l'automne 1949 en baie de Bremerhaven, en Allemagne, pour New York, ville dure où ils pourront se griser aux vapeurs du possible, une ville où il neige l'hiver, de cette neige qui tombait sur leur village lituanien, avant. Avant : jusqu'en 1944 quand, menacé d'être arrêté par les nazis, Mekas s'exile. Ce sera Vienne, puis l'Allemagne ruinée, ballotté de camps de travail forcé en camp de personne déplacée.
Je n'avais nulle part où aller, transcription des carnets que l'auteur de Lost Lost Lost a tenus pendant onze an