Un groupe de filles discute autour d'un brasero. Elles ont cet air vaguement frigorifié des touristes occidentales plantant leur bivouac en plein désert du Sinaï. Au milieu d'elles, des Bédouins. Ensemble, ils mangent, échangent quelques paroles même si aucun ne comprend la langue de l'autre. Puis un des Bédouins se lève et entraîne la plus jeune du groupe. Elle n'oppose pas de résistance, elle n'est pas pour autant résignée à ce viol qui semble inéluctable. Elle sait juste qu'elle est entrée clandestinement dans une zone de non-droit, que cette nuit n'est que le début d'un chemin de croix qui doit la mener sur la terre promise. Amère promesse : toutes ont quitté la Lettonie, vendues à d'autres, pour d'autres, dans l'espoir vite sali d'une vie meilleure.
Fiction-documentaire. C'est la première scène de Terre promise, le trente-sixième film d'Amos Gitai. Peut-être aussi son meilleur. Celui qui contient, en puissance et en cru, ces lignes de destins que le cinéma de Gitai est un des seuls à oser suivre : celles d'humains nés au mauvais endroit au mauvais moment, coincés entre l'exil volontaire et le ballottage géopolitique qui les rabaisse au rang de marchandises. Esthétiquement, on retrouve avec une force renouvelée cette structure de film si particulière où tout se joue sur l'étirement de sept ou huit séquences en autant de chocs.
L'âpreté qui fonde le cinéma de Gitai autorise de moins en moins le distinguo entre oeuvre de fiction et étape documentaire, toutes les branches