Ce Cauchemar de Darwin ressemble plus à un fragment du Jugement dernier de Jérôme Bosch qu'à un documentaire de Michael Moore. Hubert Sauper, tout comme dans le triptyque du peintre flamand, compose sa vision du monde avec les détails (Moore, lui, n'en fait pas vraiment). La guêpe sur les vitres de la tour de contrôle de l'aéroport de Mwanza, l'oeil inquiétant du gardien du laboratoire, le pied grouillant de vers de la femme qui sèche les carcasses de poisson... Des plans de coupe troublants ou des séquences éprouvantes, qui amplifient, comme dans un thriller, la démonstration filmée et annoncée de Sauper : «On ne trouverait pas de perche du Nil dans nos supermarchés s'il n'y avait pas de guerre et de famine en Afrique.»
Ni simple militant, ni juste journaliste, Sauper se veut visiblement aussi cinéaste. Et c'est avec une grande habileté qu'il se distingue du lot des «docus choc» en cour aujourd'hui. De Fahrenheit 9/11 de Moore, donc, aux Chroniques de la violence ordinaire récemment diffusés sur France 2. Lui aussi, pourtant, prétend révéler là une vérité, en partie cachée. Dénoncer un scandale. Mais il ne table pas seulement sur la force de sa démonstration en images, interviews et commentaire ; il se sert des procédés du cinéma pour mettre le spectateur en condition d'extrême bouleversement. D'extrême culpabilité aussi : ce sont les mêmes des Blancs qui bouffent les filets de perche et voient le film. Première réaction des spectateurs à la sortie du film : «Finis les f