Trois notes de guitare, glissées parmi le silence. Un lac immobile, une lumière indistincte : aube ou couchant, on ne sait plus. C’est une
drôle de première image, qui éloignera d'emblée et à jamais Million Dollar Baby de tous les films sur la boxe, et il n'en a pas manqué à Hollywood. Mais comme image première, c'est la perfection : le grand calme qui enveloppe le vingt-sixième film d'Eastwood est d'emblée posé, autant glacis funèbre, surface, que plan profond. Voilà un film au passé, voici un film comme on a pu en faire dans le passé : c'est-à-dire un film raconté, légendaire, écossais ou irlandais (on pense à Ford, à tort ou à raison), un film pondu du fond d'une gorge. Il doit bien exister quelque part une VF de Million Dollar Baby, qui soit aussi catastrophique que celle, de sinistre mémoire, de Sur la route de Madison, une bonne VF pour rendre ce film absolument irregardable, amputé de sa qualité première : son grain de voix mat, qui relie indéfiniment l'expérience à une parole, à une façon particulière de prononcer chaque mot, de les regarder s'emparer d'un récit, en faire son affaire.
Les vieux et l'enragée. Cette voix, en l'occurrence, n'est pas seulement celle d'Eastwood, mais d'un vieux boxeur en retraite anticipée, Scrap, éborgné depuis son 109e combat. Une vieille loque sympathique qui traîne en chaussettes trouées dans une salle de boxe. La salle appartient à Frankie Dunn (Eastwood lui-même, à la beauté usée). Frankie est un bon entraîneur, à ceci près qu'il hési