"Printemps 1974. Vraie naissance. Un spectacle à La Salpêtrière, Faust Salpêtrière : rencontre frontale avec le travail de Klaus Michael Grüber. Il y avait un sac de boxe troué dont le sable s'écoulait pendant une heure et demie, une tortue géante en laisse qui se confondait avec la tombée du jour, une chaussure à talon verte cognant fort contre un mur, une piscine remplie de pierres. Les acteurs m'éblouissaient chaque soir du fond de leurs solitudes. Certains soirs, Klaus, planqué au fond, psalmodiait le texte en même temps que les acteurs, avec ses mains, sa voix, une bouteille de whisky dans la poche de son manteau. Une partie des spectateurs quittait le spectacle dès la première demi-heure, ceux qui restaient se retrouvaient quatre heures plus tard, épuisés, le visage illuminé par le théâtre, et aussi par autre chose que le théâtre. C'était une époque extraordinaire. Nous passions six heures par jour au café, six heures dans des salles de cinéma (Pasolini, Bresson, Eustache, Tarkovski, tournaient encore...), six heures à écouter des disques, le reste à tenter de dormir. Nos corps, nos désirs, nos pensées, étaient en ébullition, comme le monde qui venait à nous autant que nous à lui. Nous étions amoureux du monde.
1977-1983. Je rencontre Elisabeth Perceval, actrice de théâtre, qui m'apprend ce qu'est la révolution permanente. Trois enfants (Simon, Héléna, Ulysse), on déménage souvent, pas d'argent, beaucoup de désir. Je travaille comme stagiaire monteur dans les studios de