Imaginons cette presque réalité: Rainer Werner Fassbinder a 60 ans. Aurait. Autant dire la maturité, la force de l'âge cinéaste. Entre son premier long métrage, L'amour est plus fort que la mort (1969) et son dernier, Querelle (1982), soit une douzaine d'années d'activité, il déverse un Niagara de cinéma: plus d'une quarantaine de films . Comment ne pas imaginer, rapporté aux vingt-trois années écoulées depuis sa disparition, tous ces films que le destin nous a volés, ce fleuve de Fassbinder qui aurait dû nous baigner et parviendrait aujourd'hui, avec nous, au delta d'une vieillesse prometteuse?
RWF avait placé lui-même son cinéma sous le signe d'une grande question existentielle: «Je cherche en moi où je suis dans l'histoire de mon pays» et, à ce titre, ses films nous parlaient infiniment d'un monde post-quelque chose, particulièrement son Allemagne d'après-guerre. Historiquement, il fut parmi les premiers cinéastes de son pays à faire entrer dans le cadre, formel et mental, la conscience d'un monde postatomique et postholocauste. Mais, vu d'ici, le cinéma de Fassbinder s'est aussi augmenté de cette qualité paradoxale: c'est le dernier grand rugissement d'un monde ante, ce monde d'avant la chute du Mur, d'avant Tchernobyl et même d'avant le sida. Un monde où il y avait encore place pour un fauve.
Fassbinder le défoncé de toutes obédiences est mort avant l'hygiène antitabac et il n'est même pas mort assez jeune pour prétendre au mythe rimbaldien de l'ange disparu au faîte d'un