On regarde l'Intrus comme on lit un bon livre. Ce qui ne veut pas dire que Claire Denis adopterait une forme littéraire comme on adopte un enfant avec la promesse (cause toujours !) de bien l'élever. De toute façon, Claire Denis est, métaphoriquement parlant, un bon exemple de mauvaise mère, du genre à perdre ses affaires et oublier de faire à manger. Un prototype encourageant en ces temps de chantage aux mères (et pères) de famille. Ce qui n'exclut pas qu'elle aime sa progéniture, quitte à la dévorer si elle ne décanille pas à temps.
Corps-mort. L'Intrus, inspiré d'un livre (de Jean-Luc Nancy), est, comme toutes les bonnes traductions, une belle infidèle. Par exemple lorsque l'action se situe dans les îles du Pacifique. Lagon vert et bleu du ciel, l'exotisme touristique est au rendez-vous, le poster du voyagiste aussi. Mais soudain le ciel devient noir et la mer grise. Soudain, une averse menace. Soudain ? Comment traduire ce «soudain» en images ? Comment trouver l'expression cinématographique qui convient ? Tout le film est tendu par ce genre d'effort qui ne se voit pas. Claire Denis filme comme on tire à la corde, sauf que c'est elle la corde et elle qui crie. Ho ! Hisse ! Tout un monde d'un côté, tout l'univers de l'autre.
Le monde de Claire Denis suppose une présence. En l'espèce un corps d'homme, massif et costaud, mûr et vieilli à la façon d'un grand cru. Dans le Jura, ce Louis Trebor (imparable Michel Subor) vit en ermite, traqué peut-être, en débit avec son passé (anc