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Libération
Interview

Mes dates clés, par Claire Denis

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publié le 4 mai 2005 à 2h02

"1939-1945. Je ne suis pas encore née, mais mes parents, qui se sont connus pendant la guerre, enseignants au lycée Lakanal à Sceaux, m'ont souvent raconté ce moment. J'étais l'aînée, et ils me parlaient d'un éblouissement amoureux. Moi, je venais après : après l'amour, après la guerre, après la faim aussi, dont ils avaient souffert, après la peur. Mais cela semblait si fort de s'aimer pendant la guerre. J'ai dû dépasser ce sentiment de jalousie pour pouvoir aimer mes parents.

2 novembre, années 50. C'était l'anniversaire de ma mère, mais aussi le jour des morts. Je me souviens des chrysanthèmes, et en même temps des cadeaux. Cette coïncidence m'angoissait : je trouvais que ma mère avait une façon sardonique de dire qu'elle était née le jour des morts. Ainsi, elle était née du côté obscur de la vie. Même en Afrique, novembre a quelque chose de sinistre.

21 avril, années 50. C'était mon anniversaire, à l'opposé : comme la vie face à la mort, le printemps qui succède à l'automne. Et je trouvais ce cycle des anniversaires à la fois injuste et effrayant. Ma mère était née du côté obscur, moi du côté clair.

1955-1958. Petite fille, j'ai vécu dans la brousse, au nord du Cameroun. Mes parents enseignaient là. Ma mère ne voulait pas qu'on mange de la viande crue, notamment du porc, par hygiène. Nos voisins, une famille juive, nous prenaient donc pour des Juifs. Et ils se confiaient quand je passais les voir. J'ai été prise en charge par cette famille, qui me croyait juive, et m'a fait