C'était le temps où les Américains pouvaient encore se regarder dans la glace. 1978, le monde (et donc l'Amérique) était encore polarisé entre deux blocs dominants. Et lorsque Voyage au bout de l'enfer (The Deer Hunter) a été invité à Berlin, le bloc soviétique s'est retiré de la manifestation comme un seul homme. Cimino n'a rien gagné mais, en 2000, la Berlinale choisissait le film pour célébrer son 50e anniversaire. Jane Fonda, après une projection, le traitait de menteur, pour la façon dont il renvoyait dos à dos Vietcongs et Vietnamiens du Sud, et les montrait comme des chiens de l'enfer. Elle avait aussi quelques intérêts personnels à défendre avec coeur : son film, plus politiquement correct, Coming Home (Retour), était en concurrence avec The Deer Hunter, et s'est effectivement fait coiffer aux oscars (5 contre 1).
«Epique». Tout aussi incroyable aujourd’hui, c’était une époque où une major comme EMI autorisait un cinéaste avec juste deux scripts à son actif et l’aimable Canardeur derrière lui, à non seulement envisager un film de trois heures pour quinze millions de dollars, mais aussi à faire ses repérages durant l’écriture du scénario. Chose cruciale, puisque Cimino n’aspirait à rien moins qu’à réaliser un film «épique à l’échelle de l’espace américain» (Pauline Kael), sans s’embarrasser de vraisemblance géographique ou historique. Sa communauté d’ouvriers métallurgistes évolue dans des décors réels, mais trouvés en Pennsylvanie, ou dans l’Ohio, jusqu’à Cleve