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Libération
Interview

Mes dates clés, par Brigitte ROUAN

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publié le 1er juin 2005 à 2h25

"Juin 1947. Mon père se noie. Je suis posthume, mon biberon sous le bras. Eclipse du soleil, les brumes matinales auront toujours du mal à se dissiper.

Novembre 1954. Ma mère meurt de mélancolie. Je vis à Toulon, petite fille dans le noir, le deuil. On m'envoie en Algérie, chez mes oncles et tantes. Une grande maison blanche, pleine de lumière, de cris et de rires d'enfants. La joie, la beauté, les parfums, la chaleur des femmes algériennes, et les couleurs sur fond blanc. L'Algérie, qui entre en guerre, est désormais ma mère fantasmée, ma résilience.

1960. Ça chauffe en Algérie. On me réexpédie en France, pensionnaire chez les Dames de Sion, rue Notre-Dame-des-Champs à Paris. Jupes plissées, mines contrites, pupille de la nation, le noir revient. Silence et chahut, adolescente je m'ennuie. J'ai honte d'être roturière, orpheline, boursière fauchée. Je m'invente une vie où je serais riche et fameuse. Les seules dames en couleur sont les putes de la rue Quentin-Bauchart, qui me donnent des bonbons. Je ne sais pas trop ce qu'elles font là tous les lundis matin.

1966. Hypokhâgne au lycée Camille-Sée, autre caserne. Dernière de la classe : sacrée claque et des complexes pour la vie. Il ne m'en reste qu'un poème de Valéry : «O combles d'or, ô mille tuiles toits...»

Mai 1968. Je découvre la liberté. Avec quelques copines à Saint-Eustache pour un concert de musique sacrée, on décide d'aller rue Gay-Lussac. Sur les robes de soirée et les escarpins, on enfile des pulls, des jeans. On part