On ne voit plus très bien ni à quel régime vole l'aéroplane Ruiz ni où il entend se poser. Ou peut-être est-ce le contraire : au bout de trente ans de compagnonnage avec ce cinéma du vertige, on commence à y voir trop clair. Les lignes des scénarios ont beau être de plus en plus brumeuses, embrouillées, ce qui tend à disparaître c'est précisément la jouissance qu'il nous offrait autrefois d'atterrir dans la salle comme en domaine perdu.
Miroirs. Le château Ruiz est toujours ce couloir d'images infini, il reste bâti en escalier, ses miroirs renvoient encore sur un autre monde, une autre temporalité, mais l'habitude a fini par vider cette architecture de son mystère originel.
Le titre de ce 85e film est à tomber... A le lire, on imagine un Horizon perdu (ce Capra étrange) revisité depuis un pays lointain, croisant le fer avec le Saint-Exupéry de Vol de nuit et l'Alain-Fournier du Grand Meaulnes. Ou pourquoi pas Tintin retenu dans Moulinsart ? Ruiz, vieux sorcier des temps, envisage ce Domaine perdu comme un hommage à la série B, à Tourneur, Dwan. Et le film, qui commence extraordinairement, sur trois plans d'un rafiot rouillé, dernière histoire d'un pays bientôt sans histoire, semble bien parti pour faire les poches du passé.
On y croise effectivement le Chili en 1973, Londres durant la Seconde Guerre mondiale, et le Chili encore, mais en 1932. Fil rouge de ce temps retrouvé : deux aviateurs, un jeune instructeur chilien (Grégoire Colin, engoncé) et un Français, plus mature (Fran