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Libération
Critique

No future au Scope.

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Tourné dans un parc d'attractions qui échantillonne la planète, «The World» du Chinois Jia Zhang-ke donne une vision bouleversante d'une civilisation en voie de déshumanisation.
publié le 8 juin 2005 à 2h32

A Pékin, le parc d'attraction The World rassemble dans un périmètre réduit (de la taille d'un zoo) quelques-uns des sites touristiques les plus visités au monde. En une journée, le passant en goguette peut divaguer du Vatican aux pyramides du Caire, de Manhattan (avec les Twin Towers toujours debout) à la tour Eiffel, du London Bridge aux jardins zen de Kyoto après un crochet par la place Rouge... Cette absurdité totale de planète-Jivaro offre le cadre quasi unique de l'action du nouveau film de Jia Zhang-ke, son plus fascinant depuis le chef-d'oeuvre Platform (2001), en même temps qu'il emblématise le présent chinois, et, de proche en proche, celui, général, de la vertigineuse modernité.

Le parc propose quelque chose de complètement fou qui hausse d'un cran la folie du tourisme lui-même : il s'agit de visiter le visitable, de voyager à l'intérieur d'une constellation de monuments échantillonnant chaque pays, abolissant dans un arc fabuleux de contrefaçon la fatigue de l'itinéraire et la valeur même de l'Histoire. C'est un pur décor, certes, mais qui radicalise en somme le sentiment crescendo d'un monde devenu inhabitable, composé de villes-musées mises sous cloches pour la galerie et de cités-dortoirs dont la poussée anarchique s'accomplit partout au rythme effréné des ultimes soubresauts de l'exode rural. Cette civilisation exclusivement citadine avec ses individus aux yeux vides livrés en pâture à une rationalité technique qui tend peu à peu à détruire le sens des émotions