Donnant sur une cour huppée du quartier des Champs-Elysées, à l'ombre du siège d'Europa Corp (la société de production de Luc Besson), le bâtiment de la société Digital ressemble plus, avec ses marbres beiges, à un petit hôtel de luxe qu'à l'image qu'on se faisait naguère d'un «centre technique» du cinéma. C'est bien là, pourtant, dans une salle en étage, que Rachid Bouchareb s'affère au montage d'Indigènes : un film à la fois secret et très attendu sur le rôle des forces africaines dans la libération de l'Hexagone: quelque 110 000 Maghrébins et 20 000 Noirs composant, en 1944-1945, le gros de cette «première armée française» de 200 000 hommes, qui débarqua en Italie pour gagner la Provence et remonter vers le Nord, au travers de la France.
Assis côte à côte, penchés sur deux écrans connectés, Bouchareb et Yannick Kergoat, son chef monteur, surveillent l'avancée prudente d'un groupe de soldats à travers un village vosgien. Scierie abandonnée, maisons à colombages, lourds tas de bois... La caméra accompagne la progression de Roschdy Zem, Sami Bouajila, et Samy Naceri. A l'arrière-plan, apparaît la silhouette de Jamel Debbouze conduisant un cheval attelé d'un brancard...
A 47 ans, l'auteur de Cheb (1991) et Little Senegal (2000) signe son sixième et plus ambitieux long métrage. Il a parcouru beaucoup de chemin depuis Bobigny, la banlieue de son enfance. Orienté tourneur-fraiseur, il a turbiné, passé le BEPC «en candidat libre» et forcé un avenir qui paraissait inaccessible en s'