Imaginez un cinéaste, mais imaginez-le avant qu'il se mette à tourner. Pas la nuit d'insomnie qui précède le premier tour de manivelle, ni les longues journées d'écriture mais ses années d'adolescence ; la ville dans laquelle on peut supposer qu'il ait moins grandi qu'étouffé à petit feu, bien que se laissant envahir émotionnellement par son atmosphère. Imaginez aussitôt sa chambre, la vue, la lumière à travers la fenêtre, les couleurs, les saisons, lentes, les sons, obsédants, les disques qui accompagnent chaque découverte, chaque premier impact affectif, les livres dont il s'empare comme des traités parallèles d'éducation. Mettez tout cela en perspective, comptez les heures, les minutes, les secondes, qui vont le séparer de l'âge adulte. Prévoyez ensuite des voyages, des amours, des études, loin, le plus loin possible, des rencontres, des chocs esthétiques.
Le père, le fils, la blonde. Et un jour songez à un retour, douloureux, lourd de toute une comptabilité de fer. Songez à la somme muette des rancoeurs, à tous ces affrontements qui devraient avoir lieu et qui seront toujours différés. A ce moment-là de votre songe, vous aurez une idée de ce que cache le titre le plus obscur de l'année presque défaite : Forty Shades of Blue. Quarante variations de bleu. Du bleu dur au bleu bleu. Un garçon revient chez son père et c'est devenu un homme. Mais le père, lui aussi, est resté un homme : il baise (à droite à gauche) et aime (quand même) une femme. Que celle-ci ait l'âge du fils