Menu
Libération
Critique

Donner sa langue à la Terre promise

Article réservé aux abonnés
Des exilés témoignent de leur relation complexe à l'hébreu.
publié le 18 janvier 2006 à 20h05

Le grand poète de la Shoah, Meïr Wiseltier, arrive en Israël à l'âge de 8 ans, avec, dans sa besace, le russe et l'allemand. Il lui faut aussitôt apprendre l'hébreu : «J'ai dû assassiner le russe, ma langue naturelle, car il faisait obstacle à ma capacité d'écrire. J'ai été cruel, mais quelque chose du russe m'est resté, sa musique et sa poésie.»

A l'instar du poète, les protagonistes d'Une langue à l'autre évoquent, tous, cet «assassinat» et cette «cruauté» à l'égard de leurs langues maternelles. Filmés en plans fixes, sobres, ils racontent, sans rhétorique ni pathos outrancier, leur combat quotidien. La poétesse Agi Mishol se souvient de son arrivée de Hongrie, à 4 ans, avec ses robes d'organdi et son ombrelle rouge incongrues dans «une société de paysans». Le yiddish de ses parents lui fait honte («Je voulais être comme tout le monde»), mais le hongrois lui est revenu avec la mort de son père. Sa patrie, désormais, est l'hébreu. «Je ne pourrai pas écrire où l'on ne parle pas l'hébreu. Pour le pire et le meilleur.»

Patrie, sinon retrouvée, du moins découverte, dans la douleur de l'arrachement, l'oubli obligatoire des racines : «Nous écoutions de la musique arabe, fenêtres fermées, par peur des voisins. Qui étaient tous marocains, ironise le chanteur Haim Oliel, de la ville pauvre de Sderot. Pour ressembler à tout le monde, nous avons chanté au début du rock.» Puis la musique grecque permet à sa génération de se raccrocher à l'Orient, «parce que c'était oriental, mais pas ara