Il y a des phrases qui hantent notre paysage mental sans qu'on les sollicite. Ainsi celle-là, qui refuse de s'effacer depuis plusieurs jours : «Les cinémas, c'est pour les délinquants.» Elle est tragique, drôle, pathétique, grotesque, ce qu'on voudra, mais d'où est-elle sortie ? L'énormité de l'affirmation la rend inoubliable, mais c'est aussi cette démesure qui nous fait douter : l'a-t-on lue, vue, entendue quelque part ou est-ce le morceau d'un rêve agité ? La réplique d'un cauchemar politique ou la morale d'un songe ironique qu'on a pris pour réel comptant. A moins que ce ne soit un sketch ?
Et puis on retombe dessus un soir de tri sélectif : c'est une citation extraite d'un article du Monde (1) sur l'Arabie Saoudite : «Les cinémas, c'est pour les délinquants.» La phrase, placée en «cartouche» dans le corps du texte qu'elle illustre, est signée Mansour Askar, que l'on nous présente comme «sociologue» à l'université islamique Mohammed-Ibn-Saoud. Elle est tout à fait sérieuse, bien sûr, et ne fait qu'exprimer un aspect du rigorisme wahhabite, qui proscrit les cinémas ainsi que toutes sortes d'activités qui plaisent aux jeunes.
La sentence nous rappelle quelque chose d'oublié : il existe des endroits sur cette terre où les cinémas sont interdits. Pas en déshérence comme en Italie, ni surveillés comme en Corée du Nord, pas méconnus comme dans les paradis vierges de Papouasie ou inaccessibles comme en Alaska, mais interdits. Bannis comme un fléau, prohibés comme l'alcool, illici