Sète envoyé spécial
Vingt heures trente. Avec la nuit, les immeubles de béton ont pris une allure étrangement apaisée. L'obscurité des cages d'escalier, se confondant avec la noirceur environnante, ne permet plus d'entrevoir les fils électriques arrachés de leur gaine, ni les inscriptions dont les murs fatigués supportent depuis des années la présence. Dehors, le froid très vif de cette mi-janvier a chassé les derniers badauds.
Soudain, une femme apparaît sur la gauche, un sac à provisions serré dans une main. A droite, un SDF a installé ses cartons, ainsi qu'un vieux matelas, dans le renfoncement du mur, juste à côté des poubelles. La femme s'approche de lui, dépose le sac au bord du matelas, lui glisse une phrase timide, et s'éloigne rapidement. Le clochard se lève, se dresse sur une jambe, écarte ses bras à l'horizontale, et de sa gorge jaillissent de longs cris de mouette. «Coupez !» lance la voix d'un homme assis en retrait, protégé par les poubelles. «C'était très bien. Très bien. Marzouk, ne te retourne pas quand Claude pousse ses cris. En fait, ton personnage ne s'intéresse pas à ce que fait l'autre. Tu as compris ? Bon, tout le monde en place, on la refait.» La scène se passe à Sète, dans le quartier immigré dit de «l'île de Thau». Depuis quatre mois, Abdellatif Kechiche (la Faute à Voltaire, l'Esquive) y tourne son prochain film, la Graine et le mulet. De l'histoire, classée «secret défense» par le réalisateur et son producteur, on ne connaît que quelques bribes : un