1977. Je dois avoir 7 ans. Je veux téléphoner à une amie. Je place le bout du doigt dans les trous en face de chaque chiffre et fais tourner le disque en plastique transparent jusqu'au cran nickelé. Il revient dans sa position initiale avec un bruit de trotteuse. Une dame décroche. Je demande ma copine. Mon interlocutrice répond : «Je vous reconnais. Ecoutez, je n'ai rien contre vous, je sais que vous sortez avec mon fils. Pourquoi essayez-vous de mentir ? Je sais très bien que c'est vous. Soyons amies. Ne craignez rien, je vous assure. Vous n'avez aucune raison de faire ça.»
1978. Dans la cour de l'école primaire, au parc Monceau, je viens me réfugier auprès de la maîtresse après m'être bagarrée avec un garçon. J'espère qu'elle va me protéger, et infliger une punition publique et exemplaire à ce petit crétin. Elle est sur un banc avec une collègue. Je me glisse dans son dos et viens lui souffler à l'oreille : «Madame, il n'arrête pas de m'embêter.» Elle se retourne à peine et soupire, détachée : «Moi, c'est toi qui m'embêtes.»
1980-81. Ma mère me dit : «C'est le désir qui fait la loi, et pas la loi qui fait le désir.» Mais oui, exactement, bien sûr ! Je pense à toutes les occasions forcées, aux fêtes de famille imposées, aux repas ennuyeux. Chaque fois que mon père nous demande d'être enthousiastes et gais quand il nous emmène le dimanche déjeuner chez une tante, je me répète cette phrase en boucle dans ma tête.
1986. Ma mère vient de mourir. Une de ses amies m'invite au café.