C'est à se pincer : chapeau sable, longue silhouette nonchalante, regard bleu délavé de celui qui en a vu d'autres... Rolf de Heer, c'est Crocodile Dundee. Mais aussi bonhomme qu'il apparaisse, on se gardera bien de lui dire. Car d'emblée, il éradique badinage et simili exotisme, prend l'attachée de presse à part : «Il faut comprendre que, bien qu'ils parlent anglais, ça n'est pas la même langue que nous. Ils ne comprennent pas les questions comme nous les entendons, de même que nous n'entendons pas les choses comme ils les disent, on est dans une autre cosmologie...» Il est 10 heures, on se dit que la journée s'annonce coton.
Jet lag culturel.
Pourtant, «ils», Frances Djulibing et Richard Birrinbirrin, sont là, souriants, contemplent tranquillement la baie en attendant l'interview, a priori pas plus déstabilisés que ça par le buzz médiatique qu'accompagne leur venue sur la Croisette pour Ten Canoes. «En réalité, contredit de Heer, vous ne pouvez imaginer ce qu'ils vivent là, c'est tellement aux antipodes de leur vie, de leur façon de penser, de parler... Par exemple, il n'y a pas chez eux de "je", "tu", "il", "elle", mais seize façons de dire "nous". De même, les conjonctions du type "parce que", "quand" n'existent pas ; ça change tout.» Au long de l'entretien, il veillera à leur confort, posant une main apaisante sur Frances Djulibing qui bat la cadence de la jambe, répétant ou explicitant ce que dit Richard Birrinbirrin.
Tous deux sont des aborigènes yolngus sortis de Raming