Chez les yakuzas, ces gangsters japonais, une tradition veut qu'on se coupe un doigt pour signifier son allégeance. M. Komagai, responsable du clan filmé dans sa vie quotidienne par Jean-Pierre Limosin, n'applique pas cette pratique : elle désigne les yakuzas à une société qui n'en veut plus. M. Komagai est aujourd'hui à Cannes, avec le réalisateur, sur une jolie terrasse avec vue. Il porte un survêtement bleu marine. Sa montre en argent est à l'heure de Tokyo. Dans la conversation, il est attentif, ironique, ferme et courtois. Son regard vous cloue et ne vous lâche plus. Il a 45 ans et tous ses doigts.
Force du regard. En l'écoutant, Jean-Pierre Limosin s'est souvenu de son enfance dans un village du Val-d'Oise. Sa mère était ouvrière agricole et son père, menuisier : «C'était un univers sans images, sans livres, presque sans mots.» Lorsque le père rentrait de l'usine, l'enfant avait peur de découvrir ses doigts coupés. Cinquante ans ont passé. Jean-Pierre Limosin a tourné des fictions, comme Tokyo Eyes, des documentaires sur Alain Cavalier ou Takeshi Kitano, qu'il préfère ne pas appeler ainsi, «car le documentaire ça n'existe pas, dès qu'il y a une caméra tout est dénaturé». Il a un moment abandonné le cinéma, «car tout [l]'énervait dans ce milieu où on ne laisse pas vivre les idées». Cinquante ans ont passé et, à quelques mètres de M. Komagai, il tient immobile sa longue silhouette discrète, embarrassée, un peu voûtée. Ce qui semble les unir l'