Un jour, à un journaliste, Sandrine Bonnaire a dit : «J'ai une amnésie, peut-être pas inconsciente, mais totale de mon enfance.» Au coeur de l'amnésie, il y a des douleurs, des impossibilités et des rêves. Il y a peut-être Sabine, sa soeur autiste, d'un an sa cadette. Dans son premier documentaire, Sandrine filme Sabine, amoindrie et déformée par la maladie, l'angoisse, le poids des médicaments et cinq ans d'internement psychiatrique. Elle l'aime en la filmant.
Grâces jumelles. En contrechamp, elle donne à voir son état quinze ou vingt ans avant, malade mais mince, droite, d'une élégance d'amazone, puisque déjà l'une filmait l'autre. Sandrine montait les marches, Sabine les descendait, leurs grâces étaient jumelles. Sur les archives, le sourire de Sandrine dépose sur son visage une présence naturelle au monde. Celui de Sabine hésite, pris dans les nerfs. Sa paupière inférieure droite ne cesse de battre, imperceptiblement, face au monde qui s'éloigne. «On sent, dit Sandrine, qu'elle a une vivacité trop forte.» Elle a eu l'idée du film voilà neuf ans, quand sa soeur était en hôpital psychiatrique : «Je voulais dénoncer la situation.» Elle y renonce. Le temps passe, elle hésite. Elle ne veut pas ressembler «à ces acteurs qui écrivent des livres pour qu'on les plaigne, [elle] déteste ça». L'amour et la souffrance, il faut prendre son temps pour les révéler.
On filme aussi pour ne pas oublier. Dans la famille Bonnaire, il y avait dix frères et so