C'est l'histoire d'un livre qui rêvait de n'appartenir à personne et qui sera sorti deux fois sous pseudonymes différents. En 1946, la France libérée découvre, sans vraiment y attacher d'importance, Elisabeth, le premier roman chez Gallimard d'un dénommé Gilbert Cordier, un auteur âgé d'à peine 26 ans. La France de 2007 que l'on ne se risquerait pas à qualifier de libérée découvre ces jours-ci la Maison d'Elisabeth, premier roman chez Gallimard signé cette fois d'un dénommé Eric Rohmer, 87 ans. Les deux textes sont identiques sinon leur titre, et dus au seul Jean-Marie Maurice Schérer, un garçon né en 1920 à Nancy, professeur de lettres, germaniste et qui a toujours signé ses ouvrages, ses articles, ses thèses et ses films sous pseudonymes pour se protéger d'une famille qui voyait cette dispersion artistique et bohème d'un oeil mauvais.
Aujourd'hui, les masques ont enseveli le «grand Momo» comme le surnommaient Truffaut, Godard, Chabrol et Rivette : le doyen des «jeunes Turcs» de la Nouvelle Vague et des Cahiers du cinéma ne peut donc plus faire autrement que de ressortir ce seul roman sous le plus célèbre de ses avatars : Rohmer, Eric. Ce livre, d'ailleurs, ne nous intéresse que comme pièce originelle, aussi inconsciente qu'insouciante, d'une oeuvre rohmerienne encore en devenir.
Logorrhée. Littérairement, Gilbert Cordier se réclamait du Gide des Faux-Monnayeurs et des «behaviouristes» américains : Faulkner, dos Passos. Une modernité appliquée