«Concrètement, je sentais qu'un aristocrate intellectuellement libéré des préjugés de sa classe pouvait constituer un révolutionnaire social plus désintéressé et enthousiaste que le plus passionné des prolétaires.» Celui qui écrit ces lignes paradoxales est un Bengali, fils de brahmane, la plus haute caste de l'hindouisme, né dans un village à la fin du XIXe siècle. Son nom ne dira rien à (presque) personne : Manabendra Nath Roy, ou M.N. Roy. C'est une figure d'activiste politique fantôme qui traverse plusieurs séquences révolutionnaires à l'aube du XXe siècle et que, pourtant, l'histoire a pour ainsi dire laissé tomber, sa haute silhouette élégante disparaissant dans le brouillard des luttes abolies, le chaos des réécritures désordonnées des vérités introuvables.
Effacement. Le Brahmane du Komintern, de Vladimir Léon, tente de recoller les quelques morceaux encore disponibles d'une biographie lacunaire, mais le film n'est pas seulement la résurgence d'un destin hors du commun, c'est aussi un impressionnant exercice de spiritisme politique, table tournante des utopies révolutionnaires défuntes. Vladimir Léon raconte qu'il n'avait jamais entendu parler de M.N. Roy jusqu'au jour où un historien de Calcutta, Hari Vasudevan, lui montra la photo de l'ouverture du 2e congrès de l'Internationale communiste de Saint-Pétersbourg de 1920 en pointant le jeune Indien au milieu des Lénine, Gorki, Boukharine et Zinoviev. «J'ai immédiatement fait une recherche sur Internet