Lunettes épaisses, longs plans fixes : il est d'usage de flanquer Manoel de Oliveira d'une réputation de cinéaste cérébral. Rien de plus faux, se dit-on à la rencontre de ce corps quatre fois plus âgé que le nôtre. Corps imposant, près de deux mètres percés, au nord, d'orbites pétillant d'une intense lueur juvénile, tandis qu'en est et ouest s'agitent deux mains lestes quoiqu'épaisses. On lui serre la droite, dont lui se sert pour souligner chaque mot, chaque intonation, revers slicé si la langue fourche, poing ouvert lorsque tout coule, dans ce français impeccable que perturbe à peine l'âge ou l'accent. Bientôt, excitée par l'évocation du poète Luís de Camões, sa phalange s'en vient heurter le bouton REC du dictaphone, endommageant de fait le reste de l'enregistrement. Nous reviennent alors ces mots chipés au détour d'un passionnant bouquin d'entretiens (1) : «La main a sa propre intelligence. L'homme se distingue des animaux par la parole et la main.» Concentrons-nous sur la main, lui qui en a filmé maintes, de mains, ici travaillant, bataillant, assassinant. Là amputées, clouées, baisées, mains d'artistes, d'épistoliers, de gourmets, agents de la circulation des affects et du pouvoir, révélateurs d'énigmes enfouies. «Mon prénom, Manoel, signifie la main de Dieu en hébreu», nous dit-il. Tout se tient.
Paume. Lorsqu'elle s'ouvre, sa paume découvre une ligne de vie étirée, dont les microzigzags finissent par tracer une courbe étonnement rectiligne. Une courb