Il aura fallu dix ans d'hésitations, de volonté de filmer et de honte à le faire pour que Raymond Depardon parvienne à concentrer tous les sucs, ceux confus de la mémoire, ceux précis de la sensation vive, pour aboutir à la Vie moderne, qui a la splendeur sereine des œuvres de la maturité. Ce documentaire clôt en un sens une trilogie au titre générique (Profils paysans) entamée en 2001 avec l'Approche, poursuivie en 2005 avec le Quotidien.
L'un et l'autre - tournés en 16 mm dans les régions de moyenne montagne, entre Haute-Loire, Lozère et Ardèche - décrivaient le sort d'éleveurs et agriculteurs confrontés aux métamorphoses radicales touchant leurs métiers : campagne peu à peu désertée, champs et pâturages transformés en musée du paysage, fermes devenues résidences pour citadins en mal de bon air rustique. C'est la fin du monde paysan, dont Murat chantait, dans Terre de France, la «rumeur errante», venue de loin et recouvrant les anciens cycles virgiliens des cendres d'un siècle entièrement technique.
Retable. Autant ces deux précédents opus pouvaient paraître dépressifs, autant la Vie Moderne, qui pourtant enfonce partiellement ce même clou élégiaque, filmé en scope, est chargé d'entrée de jeu d'une grandeur inédite. Sculptés dans le bois des journées vénérables, patinés par les saisons virulentes, neige en hiver, rôtissoire en été, les personnages apparaissent telles les figures d'un retable d'église.
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