Si les critiques se demandent à intermèdes réguliers comment va le cinéma, il est plus rare qu’ils s’inquiètent de la santé des cinéastes. Sauf dans le cas de Manoel de Oliveira, 100 ans le 11 décembre dernier. Qui voit défiler des journalistes qui ont sept décennies de moins que lui, qui tels des médecins du travail évaluent son inépuisable capacité à filmer, et se transforment instantanément en mères poules s’inquiétant de tout : de savoir s’il a soif (il carbure au Coca-Cola), s’il a faim, s’il pense à la mort le matin en se rasant.
Atteindre l’âge canonique pour supporter ces exercices d’infantilisation répétés, on le plaint. Heureusement, il a les périodes de tournage pour échapper à ce calvaire. Et le rythme de son activité cinématographique n’offre toujours aucune prise à la concurrence : là où ses confrères, sociologiquement situés dans la tranche d’âge dite active (30-55 ans), signent un film tous les deux ou trois ans, et encore, si l’inspiration est au rendez-vous, l’ancestral Oliveira chemine sur deux films annuels. A Venise l’an passé, on le voyait se balader en canotier Belle Epoque sur le Lido, copain copain avec Abbas Kiarostami.
«Cruauté inflexible». Début juillet, Oliveira était descendu à Paris, dans l'hôtel non loin de Montparnasse où il a ses habitudes, pour parler (en français, il y tient) à la critique française de son dernier film, le déstabilisant et effectivement singulier Singularités d'une jeune fille blonde. Le récit d'une