On s’est tellement habitué à confondre Tsaï Ming-liang à son acteur fétiche, Lee Kang-sheng, qu’on est surpris au moment de rencontrer le cinéaste taïwanais (né en 1957) : si Lee est mince, chevelu et pour ainsi dire mutique, Tsaï est un Bouddha jovial, gracile, volubile. Entretien sur les aléas du cinéma en tant qu’art.
Vous avez mis trois ans pour préparer Visage… Qu’est-ce qui bloquait ?
Une angoisse. Je savais très tôt que je voulais croiser l'invitation du Louvre à venir filmer au musée et mon désir de réaliser ce que je n'avais pu faire avec Et là-bas, quelle heure est-il ?, c'est-à-dire filmer ensemble le visage de Jean-Pierre Léaud et celui de Lee Kang-sheng. Mais les histoires ne m'intéressaient plus, la narration, je voulais m'en détacher. Comment faire pour que ces deux-là se croisent au Louvre sans histoire derrière ? Entre-temps, je visitais sans cesse le Louvre, non pas pour l'acheter (il y a eu une rumeur : ce Chinois vient racheter le Louvre…), mais pour en connaître les œuvres, pour rechercher un fil rouge - les portraits de saint Jean Baptiste et l'histoire de Salomé m'ont vite intéressé. Tout cela prend du temps. Lee étant lui aussi devenu réalisateur ces dernières années, la logique interne voulait que je le filme comme un cinéaste qui part faire un film sur saint Jean-Baptiste avec Jean-Pierre, Lætitia Casta en Salomé et Fanny Ardant pour productrice. La mort de ma mère, entre-temps, s'est aussi immiscée dans le scénario.
Le Louvre vous avait imposé un cahier des charges ?
Non. Je pouvais filmer un Louvre réel ou irréel. J'avais carte blanche. Je crois qu'ils n'imagin