«On sortait de l'Holocauste, cette aberration. Quelque chose ne tournait pas rond dans ce monde et je devais découvrir quoi avec ma caméra.» Cette profession de foi forme toute la base rustique, carrée et indémontable sur laquelle Lionel Rogosin (1924-2000), jeune fils d'un richissime industriel du textile, va sceller son destin imprévu de documentariste dans l'Amérique des années 50.
Son premier rêve d'humaniste était de réaliser un documentaire dénonçant l'apartheid, qui connaissait alors ses premières années de régime politique officiel en Afrique du Sud, où Rogosin voulait tourner clandestinement. S'estimant trop inexpérimenté pour attaquer de front un tel projet, il s'invente un petit entraînement préalable : «Je devais apprendre à tourner des films et On the Bowery fut cette école d'apprentissage.»
Aujourd'hui, On the Bowery peut être considéré à bon droit comme le plus beau des films de Rogosin, peut-être parce qu'il mélange ce qui fera la marque néoréaliste, engagée et altruiste du cinéaste, mais aussi en raison de sa fraîcheur constitutive, son absence parfaite de morale, de jugement, de commentaire, qui nous met de plain-pied avec son objet : les damnés de la terre.
Loques. Dès ses premières séquences le film a la beauté d'un enfant apprenant à marcher, bien plus prudent et concentré sur ses moindres gestes que maladroit. Il s'approche à tâtons réfléchis de ces drôles d'oiseaux pouilleux et brisés qui l'attirent irrésistible