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Critique

«Chantrapas», conte à retour

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Soviet suprême . Le parcours d’un cinéaste géorgien qui fuit la censure communiste en gagnant la France. Une fantaisie subtile et autobiographique d’Otar Iosseliani.
(Les Films du Losange)
publié le 22 septembre 2010 à 0h00

Malgré tout, rien n'a été plus beau que le cinéma soviétique. Nicolas, le jeune réalisateur géorgien du nouveau film d'Otar Iosseliani, est un cinéaste soviétique. On est vers la fin de l'Empire. Il fait chaud, ça craque de partout, ni le cœur ni l'esprit ne manquent, tout le monde paraît survivre à la lenteur de ses pas comme une vieille pompe au cuir rapiécé. Nicolas ne parle pas. Il ne cède pas non plus. Enfant, il piquait les icônes d'un pope alcoolique campant dans la forêt. Il est resté brusque, têtu, farouche, d'une marginalité frontale : un chantrapas, dit-on en russe. Autrement dit, un bon à rien. En Géorgie, on le censure pour quelques scènes non orthodoxes qu'il refuse d'ôter à son premier film : merveilleux moment de la décision prise par un groupe où chacun se connaît, s'apprécie plus ou moins, où le Parti n'est ni plus ni moins qu'une famille exténuée, avec son ordre, ses rôles, ses faiblesses, ses tendresses, ses lâchetés. Tout est chaleureux, ridicule, inerte, sensible. Tout se défait, tout se tient.

Le film de Nicolas passe en France clandestinement, via un diplomate, comme ce fut le cas, dans les années 70, pour certaines œuvres d’Otar Iosseliani. Nicolas suit. Là-bas, des Russes exilés l’accueillent, dont la splendide Bulle Ogier, hors d’âge et sans âge. Elle aima son grand-père, le fixe du regard : une poupée vêtue de souvenirs, et qui ouvre les yeux quand le passé s’allonge. Nicolas vit dans une sorte de cave, d’autres censures l’attendent : cell