Les cinq premières minutes, comme dans la vie, on n’y comprend rien. Il y a d’abord ces deux mains dans le noir, soutenues par deux voix, et une bague qui passe de la main de l’homme à celle de la femme. La voix de l’homme dit que la bague a appartenu à la grand-mère de la femme. Est-elle son amante, son épouse ? Non, sa fille.
Ensuite, deux types se croisent dans la neige, à la montagne, entre des arbres sombres. Tout est silencieux. L'un d'eux est Javier Bardem, fatigué, pas rasé, beau comme un mérou ayant pleuré la mer. Le deuxième est plus jeune, il a l'air d'un Arabe, il est aussi très beau. Il s'approche de Javier Bardem avec un sourire étrange, fin, sur le fil de la séduction. Bardem sourit aussi. L'autre lui offre une cigarette. Ils fument, se regardent, hésitants et complices, comme Gian Maria Volonte et Alain Delon en grillant une au milieu d'un champ boueux et gelé dans le Cercle rouge.
On ne sait pas ce qu’ils font là. Deux républicains fuyant les franquistes ? Deux clandos passant un col ? Deux gangsters en fuite ? Ou, comme on dirait d’abord, deux pédés qui vont se rouler un patin ? Non, un père et son fils - avec ce détail : le plus jeune, celui à tête d’Arabe, est le père. Mort il y a longtemps, encore presque adolescent fraîchement émigré au Mexique. Le fils, Uxbal, joué par Javier Bardem, ne l’a jamais connu. Presque mort, lui aussi.
Deux fantômes à la frontière, donc, deux sans-papiers de l'existence, et d'emblée ce double phénomène, transmission (ba