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Libération
Interview

«Le "Mouchette" de Bresson me touche plus que le livre»

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Séance tenante Annie Ernaux.
publié le 20 octobre 2010 à 0h00
L’œuvre de cette écrivaine, née en 1940, s’est très tôt éloignée de la pure fiction pour s’orienter vers la recherche autobiographique : une Femme (1988), la Honte (1997) l’Evénement (2000), les Années (2008)…
Le premier film vu ?

C'était Narcisse [1940], un film comique avec Rellys, que j'ai vu sans rire, à 5-6 ans. C'était juste après la guerre, un soir en plein air. J'étais avec mes parents, sur des bancs et il y avait un monde fou. Un an avant, on m'avait emmenée à une représentation théâtrale qui m'avait beaucoup frappée - on voyait des Allemands arrêter un jeune garçon, vouloir le fusiller, et je croyais que tout était réel. A côté, le cinéma me décevait grandement. Ce n'était qu'une grande image plate, grise, et c'est humiliant quand on est enfant d'entendre tous les gens s'esclaffer autour de soi sans comprendre pourquoi.

La première fois, seule, dans une salle de cinéma ?

J'ai commencé d'aller seule au cinéma à 18 ans et seulement parce que je n'avais plus d'amies, ni de flirts - c'était le lieu pour, en hiver il n'y en avait pas d'autres - dans la petite ville où demeuraient mes parents et où je rentrais le week-end après les cours de terminale à Rouen. Mais je le vivais comme un acte d'émancipation, tout en évitant les places du «poulailler», au deuxième balcon, avec des bancs occupés par des garçons agités venus de la campagne avoisinante. Je sais que nombre de filles, de femmes, n'ont toujours pas l'habitude d'aller seules au cinéma… Bref, je crois que c'était les Tricheurs [de Marcel Carné, 1958], dont l'effet sur moi n'a pas du tout été moral. Je pensais qu'au contraire ces jeunes-là avaient bien de la chance de pouvoir mener ce genre de vie. Laurent Terzieff m'avait fascinée, il crevait l'écran.

Un film traumatisant ?

Un film d'Henri Calef,