Emmanuelle Demoris, 46 ans, revient sur son monumental projet, qui s’est étalé sur près de dix ans entre tournage et montage au long cours.
C’est quoi, Mafrouza ?
C’est le nom d’une cité informelle, où vivaient 10 000 personnes. Elle a été construite sur une partie des restes de l’immense nécropole gréco-romaine de Qabbari. Mafrouza est sur un plateau rocheux. C’est là que se trouvaient les usines de triage de coton, d’où son nom, peut-être, qui veut dire «ce qui est bien trié».
Comment avez-vous atterri là ?
Je travaillais à un projet de documentaire sur le rapport des vivants avec les morts. J'ai fait un voyage en Italie, sur les traces de Dante, à Florence, puis à Naples, en Sicile, en Tunisie, puis en Libye et en Egypte. A Alexandrie, l'archéologue Jean-Yves Empereur m'a suggéré d'aller filmer dans ce bidonville. J'y suis allée avec un archéologue qui topographiait le quartier. Très vite, on a sympathisé avec les habitants, dont Adel, qui est dans le premier film. A la question que je posais un peu partout en Egypte - «S'il n'y avait ni enfer, ni paradis, qu'est-ce que ça changerait pour vous ?» -, Adel s'est retrouvé en opposition avec tout son entourage. Dans cette scène, très belle, on le voit en train d'inventer sa propre pensée. C'était impressionnant. De retour à Paris, j'ai eu envie de retourner pour compléter. J'ai découvert par exemple que Khattab, qui fait le sermon à la mosquée, connaît la Divine Comédie, parce qu'il y a chez Dante des emprunts au Miraj, le récit du voyage nocturne du Pro