Pour faire de bonnes critiques, il faut de l'espace. Pas forcément beaucoup d'espace, mais au moins un espace. C'est-à-dire un lieu circonscrit, une complicité, de quoi se retrouver entre lecteurs et écriveurs.
Voilà pourquoi on ne peut pas faire une critique pour tout le monde. Parce qu'on ne peut rien dire si l'on doit tout réexpliquer à chaque fois depuis la création du monde. Voilà pourquoi on ne peut pas compter sur «ce qu'attend le public» (surtout si c'est tout le public, surtout si c'est n'importe qui sur Internet) pour composer un article. Dans le numéro 80 de la revue Trafic (1) célébrant, en 20 films et 20 articles tout neufs, les 20 ans de celle-ci, Leslie Kaplan peut donc tranquillement commenter l'Homme sans passé (2002) de Kaurismäki sous forme de poème : «L'accent est mis sur la réalité du désir / évidence de cette force invisible / désir de vie / comment d'un seul coup il se relève / dans son lit d'hôpital.» Bizarrement, à Trafic, aucun thuriféraire du libéralisme à l'envers ne vient voir Kaplan pour lui dire «enlève ça tout de suite, il ne faut pas mépriser le lecteur, il ne faut pas se placer au-dessus de lui». A Trafic, on a compris que mépriser le lecteur, ce n'était pas lui parler comme à un égal, mais bien s'adresser à lui comme à un analphabète.
Inactualité. Avant de fonder Trafic en 1991 avec Jean-Claude Biette, Serge Daney a dirigé les Cahier