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Libération
Critique

Moscou d'éclats

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Avec «Elena», Zviaguintsev peint avec talent les tensions sourdes et violentes de la société russe.
«Elena» (DR)
publié le 7 mars 2012 à 0h00

Souvent, ce sont les films qui disent le moins de choses qui en annoncent le plus. Les grands événements qui mènent le monde, soutenait Nietzsche, arrivent sur des pattes de colombe et le cinéma s’est souvent fait l’aile porteuse de ces signes chuchotés.

Face à Elena, troisième long métrage d'Andreï Zviaguintsev, on a le sentiment de se retrouver devant ce genre de film mutique mais éloquent, où se décante la prophétie feutrée d'un dérèglement social profond pouvant tout simplement, et presque innocemment, conduire au crime.

C’est donc une sorte de thriller où la lutte des corps serait transposée dans la lutte des classes. Un thriller social ouaté, sans agitation ni brutalité. Une étude de mœurs et de sentiments qui débouche sur une implacable leçon de marxisme en actes. Le film ne l’est pas, marxiste, dans le sens où il prendrait parti pour les pauvres contre les riches. Mais il est d’origine russe et porte en lui cette infusion politique unique, où s’entremêlent un rapport maladif à l’Etat, une gangue orthodoxe empotée, une méfiance terrible du collectif (surtout depuis qu’il est décollectivisé) et, enfin, une violence symbolique ancestrale.

Trois pôles donnent au film sa triangulation : la femme mûre Elena, ex-infirmière qui a passé sa vie à se débrouiller sans personne, son maître et amant Vladimir, solitaire, amer et fortuné, et le fils d’Elena, Sergueï, spécimen archétypal du prolétariat russe contemporain dans sa version la plus désastreuse (chômage, misère, alc