En principe, tout film devrait pouvoir répondre à cette question, posée à son metteur en scène : pourquoi filmez-vous ? Mais dans la réalité, de nombreux films ne donnent aucune idée de ce qui profondément les motive, aucun indice sur leur nécessité réelle. Avec le Chemin noir, c'est l'inverse. Le film anticipe d'emblée toutes les questions ayant trait à son existence et semble exprimer par tous ses plans la vérité profonde d'un cinéaste nous confessant «pourquoi je filme». Abdallah Badis filme pour sauver sa peau, son âme, son honneur d'humain. Son Chemin noir est un documentaire personnel et poétique, qui s'en va sillonner la Lorraine fantôme de la houille, de la sidérurgie et des hauts fourneaux, en cherchant sur ces terres d'abandon et de friche la trace de ceux qui, autrefois, vivaient et travaillaient là.
Jazz. Le cœur de son sujet, ce sont ces vieux Arabes exilés qu'il filme avec rigueur et discrétion. Leur trajectoire fait songer à celle de petites météorites jadis tombées du ciel, éclats solitaires et éparpillés que Badis voudrait réunir en collier, afin de redonner aussi leur dimension collective, historique, solidaire à ces destins uniques et souvent abîmés.
Pour arpenter son chemin, Badis voyage léger. Il n’a emporté que le strict minimum dans son baluchon : pas de grands effets, lumière naturelle, son direct. Le seul luxe de ce film, c’est sa musique : les nappes sporadiques que répand le saxo d’Archie Shepp, qui donnent à ce par