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Libération
Critique

La révolte des benêts rouges

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Delépine et Kervern subliment les affreux, jusqu’au bout de leurs rêves.
Benoit Poelvoorde et Albert Dupontel dans «Le grand Soir» (DR)
publié le 5 juin 2012 à 22h16

Il faut reconnaître au duo Delépine/Kervern au moins deux qualités qui se confirment de film en film. En premier lieu, un indécrottable attachement aux losers magnifiques, fabriquant ici un costume troué sur mesure de «plus vieux punk à chien d'Europe» à Benoît Poelvoorde, qui livre sa meilleure performance depuis longtemps. Le débardeur trop large, la crête interrompue par une calvitie, les yeux teintés à la 8.6 et au khôl, Not (c'est le nom qu'il s'est choisi) est resté coincé au début des années 80, probablement la période à laquelle il s'est fait tatouer un dérisoire cri de révolte au milieu du front.

Ploucs. La seconde qualité des cinéastes, plus estimable encore, c'est cet acharnement à ne jamais céder un pouce à la repoussante poésie de la misère, telle qu'on peut la croiser chez tant d'autres. Les pauvres, les ploucs, les demeurés sont toujours affreux, sales et méchants. Et l'empathie qu'ils sont susceptibles de déclencher relève de l'affliction qu'ils inspirent, plutôt qu'à un quelconque processus d'identification. La profession de foi est également valable pour le décor puisque le cadre du Grand Soir - présenté à Cannes dans Un certain regard - est délimité par une de ces monstrueuses zones commerciales qui gagnent les périphéries des villes comme une gangrène incurable. Un hypermarché, une nuée de commerces aux enseignes clinquantes, le tout cerné par de mauvais restaurants qui se donnent des airs de palace de carnaval. Pourtant,