«J'aurais pu tourner à New York, à Paris, mais certainement pas à Rome. C'est l'histoire d'un photographe de mode, et Londres offre en ce moment la réalité la plus juste pour la raconter. Il y a quelque chose d'incomparablement libre dans l'air de cette ville, et le désarroi ici paraît plus vivant qu'ailleurs. Londres concentre le meilleur et le pire du monde.» Ainsi Antonioni expliquait-il, un jour d'été 1966, le choix de tourner au Royaume-Uni le film qui deviendrait le plus vaste succès de sa carrière (et l'un de ses chefs-d'œuvre) : Blow Up.
Le cinéaste avait imaginé adapter la nouvelle de l'Argentin Julio Cortázar qui lui inspira le film dans les rues de Milan. On n'y aurait pas vu les Yardbirds fracasser leurs guitares ni une Jane Birkin à frange blonde y faire, à 20 ans et entièrement nue, ses débuts. Plutôt que le lutin David Hemmings, c'est peut-être Marcello Mastroianni qui aurait joué le modelmaker saisi de vertiges quand, dans l'agrandissement de clichés volés, il discerne qu'il a peut-être - ou peut-être pas - photographié un meurtre à son insu. Et, à la place de la beauté bourgeoise Vanessa Redgrave, Monica Vitti aurait tenu le rôle de la fatale inconnue. C'eût été la même histoire, aux images vagabondes et aux crevasses obsédantes, mais un autre film, un trouble tissé d'une autre brume.
Aristocratie impavide
Il fallut l'intervention du producteur Carlo Ponti, très au fait de la vie décadente menée dans l'orbite des Stones et des Beatles par le photographe D