Le plus grand. Ce dont nul ne douta jamais, d’ailleurs. On lui rendait hommage, régulièrement. On parlait de lui un peu au passé. On avait tort, bien sûr. Têtu, Tati avait ses idées sur tout et des plans sur la comète. Des idées sur le cinéma (il était prêt à se battre pour le court métrage, il ne voulait pas que le cinéma perde son côté artisanal) et des plans pour des films à venir. Le dernier s’appelait Confusion. Tati ne possédait plus rien que son nom et une poignée de chefs-d’œuvre dont il n’avait plus les droits. Le désastre financier de Playtime l’avait ruiné. Il n’en était jamais revenu, mais à ceux qui lui disaient que le film était bien beau - l’un des plus beaux -, il disait: «J’ai eu raison, non ?»
Je le revois, sans doute déjà malade, teint cireux et cheveux blancs, grand corps tassé et vif, dans son petit bureau des studios SIS où il venait tous les jours pour ne pas se défaire de l’idée qu’il appartenait toujours au monde du cinéma. Il avait une façon unique de commencer une phrase à voix basse, avec des mots, et de la finir dans l’ébauche d’un mouvement.
L’entendre, c’était voir une ponctuation vivante, des virgules s’animer, des parenthèses et des onomatopées devenir des discours, des danses. Il était comme ces stars qui n’ont qu’à indiquer la place du mouvement qu’elles ne peuvent plus faire pour que nous le voyions en imagination. Mieux : pour que l’émotion se mêle au rire. En musique, on dirait le swing.
Tati a inventé le «son» moderne