Il faudrait organiser des projections des Invisibles en réponse aux manifestations homophobes, où se frôlent Frigide Barjot, membres de l'institut Civitas et autres militants de l'abjection. Le documentaire ne les convaincrait certainement pas, la stupidité leur étant trop chevillée au corps, mais il les agacerait énormément. D'autant que, même à l'aune de leurs aberrantes valeurs, ces réactionnaires ne pourraient rien y voir de choquant.
Car la quinzaine de personnes, hommes et femmes, dont les visages ridés défilent devant la caméra de Sébastien Lifshitz, n’a rien de particulier. Ils sont vieux, tous nés dans l’entre-deux-guerres, ont les cheveux gris, visage et mains tavelés. Mais ce qui les a rendus «invisibles» pendant des décennies, et que le cinéaste français s’attache aujourd’hui à éclairer, est simple : tous sont homosexuels. Ils ne se connaissent pas, partagent pourtant le même cornaquage, la chape de plomb du totalitarisme catho-hétéro-bien-pensant qui s’est longtemps abattu sur ceux et celles qui «en» étaient.
Sébastien Lifshitz explose la narration, fait de l'ensemble de ses protagonistes un champ de vecteurs isolés tendant vers la même direction. A chacun son parcours, son milieu social, le réalisateur filmant bergers ou héritiers de bonnes familles, petits fonctionnaires, ruraux ou urbains. Mais, pour tous, une identité partagée, un souvenir commun à la forme mutante : la découverte des plaisirs, secrète, se fait alors à l'internat, dans un recoin boisé