A peine posée, la question des relations qu'entretiennent l'Algérie et la France donne souvent lieu à toutes sortes de jeux de masques, le plus souvent tourmentés par la dépression. Amour-haine. Je t'aime moi non plus. Passion réciproque et taboue. Depuis l'indépendance, les élites politiques et intellectuelles des deux pays semblent s'être installées dans ce confort doloriste, distillant au fond la même doctrine du découragement : comme il est difficile de s'entendre… Le premier espoir merveilleux que transmet un film comme la Traversée, c'est l'idée que les heures de cette sclérose sont peut-être comptées. La Traversée est en fait un aller-retour Marseille-Alger-Marseille sans escale à bord du navire Ile de Beauté. Autant dire que le film dessine lui-même un va-et-vient qui est au cœur de son sujet.
Couvercle. Ferry spécialisé dans cette navette et presque exclusivement peuplé de Franco-Algériens surchargés de bagages, le bateau sert à Elisabeth Leuvrey de plateforme à confidences offshore. Sur cette parcelle d'extraterritorialité flottante, la question des racines flotte, elle aussi, dans son absurdité. Pour la plupart, les voyageurs se dépeignent comme infligés d'une double immigration où ils se sont verrouillés, avec le couloir méditerranéen qui les mène à heure dite de l'une à l'autre. Ils rapportent l'écheveau de liens qui, depuis la France, les unissent à leur terre, leur famille, leur quartier ou leurs