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Libération
Interview

«Ce qui choque, c’est le mal sans motif»

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Chercheuse au CNRS, Barbara Cassin confronte le film à la pensée de Hannah Arendt.
publié le 23 avril 2013 à 19h16

Entreprendre un film à suspense sur un philosophe est aussi évident que le dessin d'un cercle carré. A moins que Hannah Arendt ne s'y prête particulièrement. Entretien avec Barbara Cassin, philosophe, directrice de recherche au CNRS et qui vient de publier la Nostalgie : quand donc est-on chez soi ? Ulysse, Enée, Arendt (éditions Autrement).

Reconnaissez-vous dans le film la philosophe que vous lisez et traduisez ?

Je reconnais des propos, des phrases, sa langue. Lorsque, par exemple, elle dit : «J'ai manqué Nuremberg, je n'ai jamais vu ces gens en chair et en os», c'est une citation tirée d'une lettre à la Fondation Rockefeller. Le film aurait pu s'appeler la Banalité du mal. Sa réussite, c'est d'être grand public en se centrant sur quelque chose d'assez peu spectaculaire : l'élaboration d'un concept, avec toute sa traîne, sa trouvaille, ses tenants et ses aboutissants. Comment le concept est reçu et bouge, à partir des déformations qui en sont faites. On voit comment la banalité du mal, brandie aujourd'hui comme un cliché à chaque fois qu'un criminel apparaît comme insignifiant - la mère modèle infanticide, le fonctionnaire qui enferme sa fille dans une cave - est une idée inaudible et scandaleuse lorsque Hannah Arendt l'élabore à partir du témoignage d'Adolf Eichmann.

Pourquoi ce scandale ?

L'expression est comprise comme une insulte à la mémoire, une manière de disculper Eichmann en le noyant dans plus grand que lui. On reproche à Arendt de confondre le véritable Eichmann et la défense qu'il oppose au tribunal. Or, et le film réussit à être p