Claude Lanzmann, le cinéaste, et Benjamin Murmelstein, l’ancien «doyen des Juifs» accusé de collaboration avec les nazis, sont les deux personnages shakespeariens d’un film extraordinaire présenté dimanche à Cannes.
Lanzmann lui-même est en double. Le jeune au cheveu encore noir, qui fume à 50 ans clope sur clope quand il rencontre Murmelstein. Fasciné par un homme «d'une intelligence exceptionnelle et extraordinairement courageux. Il ne ment pas». Il lui fait raconter Adolf Eichmann, l'organisateur de la Solution finale, les «doyens des Juifs» - ces chefs des ghettos utilisés par les nazis -, l'idée du faux camp modèle de Theresienstadt construit par les Allemands pour faire croire au monde que le «Führer a donné une ville aux Juifs» et que tout va bien. Un Lanzmann qui peut s'identifier à cet intellectuel sophistiqué à la carrure de boxeur. Le cinéaste est à l'époque stupéfait par le récit de Murmelstein, «formidable conteur ironique». Grand rabbin à Vienne, il a eu affaire à Eichmann pendant sept ans. «Un démon», dit Murmelstein…
Et le double Lanzmann, l'autre moitié du personnage, c'est aussi, et surtout peut-être, le cinéaste qui, aujourd'hui, s'est mis en scène dans le film. Acteur de l'histoire qu'il exprime par toute sa présence physique à l'écran, alors que, dans Shoah, il s'était interdit même une voix off. A 87 ans, il a le cheveu blanc et la démarche moins vive, mais il sait où il va et pourquoi. Il arpente les