Menu
Libération
Critique

«Une Femme douce» amère

Article réservé aux abonnés
Reprise du chef-d’œuvre dostoïevskien de Robert Bresson.
publié le 5 novembre 2013 à 18h26

S'ouvrant sur un suicide, Une femme douce est un film sur une femme morte. Une jeune femme, une belle jeune femme : une fleur morte, une beauté morte… Veillant le cadavre, un mari morfondu essaie de remonter le fil des événements qui ont conduit à ce désastre. La jeune femme revit dans ses souvenirs, ses évocations, sa conscience, et tout le film va se tenir dans cet équilibre, cette confrontation, ce va-et-vient entre la mort présente et la vie qui a précédé. Pas de noms : elle ne s'appelle que «elle» et lui, «lui».

Robert Bresson adapte en 1969 la nouvelle de Fiodor Dostoïevski la Douce, sans grand égard pour son contenu. D'abord, il transpose le milieu du XIXe russe dans la seconde moitié du XXe siècle parisien : «Je ne me voyais pas faisant un film de neige, de troïkas, de coupoles byzantines, de fourrures et de barbes…» s'amusera-t-il à expliquer. Mais surtout, Bresson affirme avoir changé le fond même du sujet. «Chez Dostoïevski, c'est le sentiment de responsabilité, de culpabilité torturante du mari qui cherche à se justifier… Chez moi, le fond du sujet, c'est le doute, l'incertitude du mari devant ce corps muet : "M'a-t-elle aimé, m'a-t-elle trompé ?" C'est cette incommunicabilité.» (1)

Crève-cœur. Plus de quarante ans après sa sortie, Une femme douce continue d'envoyer ses signaux d'une pureté limpide, ses lumières meurtries sur le monde d'hier comme sur celui d'au