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Libération

Le perfectionnisme d’Adèle

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publié le 8 novembre 2013 à 18h06

Le philosophe Stanley Cavell définit le perfectionnisme moral par l'idée d'être fidèle à soi-même, ou à l'humanité qui est en soi, «l'âme prenant la route (vers le haut, vers l'avant)» et refusant la société au nom de cette exigence, et d'une culture. Culture au sens de Bildung, d'éducation, et de la «culture populaire» dont Cavell, à la suite d'Emerson, n'a cessé de démontrer qu'elle assumait la tâche de transmission et d'expression de l'aspiration démocratique, d'une société où chacun aurait sa juste voix : que ce soit dans les comédies hollywoodiennes du remariage, ou dans les drames du non-mariage et de la «femme inconnue». La Vie d'Adèle, d'Abdellatif Kechiche, hérite ces deux genres tout en en radicalisant les enjeux démocratiques.

Tout a été dit de la Vie d'Adèle : l'amour, le sexe, la souffrance ; l'émotion brutale que suscite la vision des trois heures de ce film. Sauf : que ce partage des émotions est motivé non par quelque «universalité» de la passion lesbienne singulière qui nous est contée, mais par ce qui drive l'héroïne, Adèle, et nous avec elle. C'est bien ce perfectionnisme - avant même LA rencontre, après même LA rupture, et au delà -, ce désir d'aller hors et en avant de soi, par l'éducation suscitée par la rencontre d'autrui ou d'œuvres (Marivaux, comme dans l'Esquive, dont la Vie d'Adèle suit directement ; la peinture, Emma étant étudiante aux beaux-arts) - qui meut