Joan de Beauvoir de Havilland, plus connue sous son nom de star Joan Fontaine, qui vient de mourir à 96 ans, n'est pas seulement l'épouse limite parano qui échappe dans Soupçons (1941) à un verre de lait glauque apporté sur un plateau par son louche et séducteur mari (Cary Grant, qui rencontre à cette occasion la caméra de Hitchcock, ah le coup de foudre !). Joan Fontaine est aussi l'«inconnue» emblématique du genre mélodrame qui tire son nom du chef-d'œuvre de Max Ophüls, Lettre d'une inconnue (1948). Dans Soupçons, comme dans Rebecca (1940), film précédent de Hitchcock qui en fit une star, elle incarne le doute au féminin, l'anxiété de la femme qui imagine son mari meurtrier, cumulant méthodiquement les indices ; dans Lettre d'une inconnue, elle exprime une forme plus radicale de scepticisme, étant jusqu'à la toute fin du film inconnue, et inconnaissable, de l'homme qu'elle aime tout au long de sa vie mais qui ne la reconnaît pas d'une rencontre à l'autre. Cette vulnérabilité infinie au doute et à la méconnaissance est certainement une qualité cinégénique propre à Joan Fontaine, sa capacité à l'expressivité et à la souffrance mutiques. Au point qu'on a pu y lire la difficulté durable d'assurer et d'accepter sa voix propre, face à sa grande sœur rivale, Olivia de Havilland.
Mais cette in-expressivité est ce qui menace toute voix humaine. Joan Fontaine représente le plus évidemment ce qui constitue pour Stanley Cavell la contributi