C'est une alcôve du quatrième étage de la Tate Modern de Londres, une petite pièce où le flot des visiteurs s'interrompt parfois. Dans cet écrin, est projeté Blue, le dernier film de Derek Jarman. Soixante-quinze minutes d'une même image : un écran entièrement bleu. Un immobilisme auquel répond une bande-son explosée, entre musique hétéroclite et monologues récités. Blue désarçonne. Face à cette lumière, on se sent enveloppé, happé, on imagine des mouvements, des formes qui se dessinent et se tordent. Avec sa substance figée et primaire, le film invite à la rêverie, à la projection d'un onirisme personnel sur la surface bleutée.
Au milieu des années 70, Derek Jarman découvre IKB 79, le tableau d'Yves Klein. Il imagine un film bleu. Le projet est abandonné, mais renaît au début des années 90. Diagnostiqué séropositif en 1986, Jarman commence à perdre la vue. Il écrit alors tout voir comme «au travers d'un filtre bleu». En 1993, après son Wittgenstein, il tourne Blue, enregistre ses amis (dont les acteurs Nigel Terry ou Tilda Swinton) pendant qu'ils récitent des poèmes ou lui-même alors qu'il lit des extraits de son journal intime. Il décrit les traitements, les examens médicaux, cite, coupures de presse à l'appui, l'incursion du sida dans la société britannique.
Au rêve visuel absolu et définitif qu'est l'image monochrome, il rétorque en présentant réalités factuelles, sonorités industrielles ou déclarations amoureuses. Jarm