Dans sa déclaration d’intention, Abdellah Taïa revendique le fait de ne pas avoir relu son propre livre au moment de l’adapter au cinéma. Comme il l’a quand même écrit, on peut supposer qu’il en a conservé un souvenir vivace, mais cette volonté de s’éloigner de son récit autobiographique dénote chez lui une belle ambition.
L’histoire de son jeune héros, Abdellah, adolescent d’un quartier populaire de Casablanca, n’a pas cette vertu universelle que les films «à sujet» se font souvent un devoir de brandir, du genre «pas facile d’être gay au Maroc». Le gamin est un rebelle qui s’ignore, bouillant en silence (la première image est celle d’une cocotte-minute gonflée à bloc sur le gaz) de ne rien comprendre à sa famille nombreuse, ni au désir d’hommes plus âgés à qui il répond favorablement aux avances. Abdellah est homosexuel, sans doute en partie parce que, ici, il sait exactement ce que les autres attendent de lui et que le désir, parfois, ressemble à s’y méprendre à de l’affection. Car son tourment, c’est l’admiration sans retour qu’il voue à son frère aîné, Slimane, archétype de l’hétéro coureur et cultivé. Abdellah veut être comme lui, il veut être lui, tout en comprenant, peu à peu, que cela lui sera impossible. Le film invite alors à décoder les actes d’Abdellah, tantôt manipulateur, tantôt souffrant de l’indifférence, sans jamais les expliquer ni les justifier, esquivant à la fois le péremptoire jugement moral et la facilité de définir le jeune homme à l’aune d’un commode