Céline Sciamma, 36 ans, enchaîne les rendez-vous. Elle est visiblement fatiguée entre les avant-premières dans toute la France et la saccade des interviews. Pourtant, dès lors qu’il s’agit de parler de son cinéma, elle s’anime et retrouve tout le tranchant d’une intelligence critique en perpétuel mouvement.
Avez-vous commencé à travailler sur «Bande de filles» en faisant la liste de tout ce que vous vouliez éviter ?
Oui, le film s’est construit sur des refus, à des niveaux très simples, comme le choix de ne pas faire un «film hip-hop» avec une bande-son hip-hop. Et d’autres décisions plus radicales, comme d’évacuer la question de la police, d’évacuer aussi tous les Blancs et, donc, évacuer la question de la confrontation, évacuer la religion. Pas par peur ou par méfiance. Le film ne s’est pas construit sur des choses qu’il refuse de regarder, mais sur des choses qu’il choisit de regarder très précisément.
Il y a des points communs entre votre film et la Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche, notamment pour la profondeur romanesque, le fait que le film continue alors qu’on pense qu’il va s’arrêter. Vous l’avez vu après avoir tourné votre film ou avant ?
Je l'ai vu avant de tourner, mais mon film était déjà écrit. Ce n'était pas perturbant, j'adore le film de Kechiche, et plus je vois de bons films, plus j'ai d'appétit pour le cinéma. Les grands films libèrent des territoires plutôt qu'ils ne les occupent. On vous pose souvent la question comme si cela devait être une intimidation, mais justement : les grands films sont une incitation à être «post-eux». L'Esquive, par exemple, a libéré le territoire de la question de la langue. Je n'étais pas ici dans l'injonction du film de tchatche, je pouvais au contraire montrer que ces filles parlaient plusieurs langues, dédier certaines scènes à une langue très énergique et d'autres à u