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Ulysse au pays des merveilles

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Laurent Cantet prend la direction des Caraïbes pour une réflexion sur l’exil intérieur.
Le Malecon aux aurores. (Photo DR)
publié le 2 décembre 2014 à 19h16

C'est un huis-clos à ciel ouvert. Sur une terrasse de La Havane, face au Malecón et du crépuscule à l'aube, cinq vieux amis quinquagénaires, quatre hommes et une femme, se retrouvent en 2013. L'un d'eux revient pour la première fois, après seize ans d'exil en Espagne. Ulysse, c'est lui. Il s'appelle Amadeo. Sur la terrasse, il regarde la mer et ce plan, réaliste, évoque la fin sublime du Mépris de Godard, quand Ulysse en toge regarde lui aussi la mer, mais à Capri. En 1997, Amadeo a profité d'un voyage pour disparaître. Il n'est pas revenu pour voir sa femme, qui mourait ici d'un cancer. Pourquoi ? Pourquoi est-il parti ? Qu'a-t-il vécu en Espagne ? Pourquoi veut-il maintenant rentrer ? Autant de questions qui renvoient chacun aux siennes.

Aucun des cinq n'a en effet vécu la vie qu'il aurait voulue. Cuba est l'île où la réussite est ailleurs, plutôt nulle part : heureux qui comme Ulysse… n'a pas fait un si beau voyage. C'est donc l'île du commentaire perpétuel de la vie : celle qu'on a, celles qu'on aurait pu avoir. Talmud ego-tropical, purgatoire ensoleillé, lumineuse mascarade des frustrations. Comme dit le poète Virgilio Piñera, mort isolé : «La circonstance maudite d'être entouré d'eau de toutes parts / me force à m'asseoir à la table du café.»

Pachydermes. Pendant une nuit et une heure trente de cinéma, les cinq se mettent à table. Ils boivent, mangent, fument, causent, crient, pleurent, chantent, dansent, s'engueulent, se réconcilient,