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Les Wachowski et le mélange des genres

Entre films indé, grosses productions, flops et coups de génie, la fratrie peut tout se permettre.
Lana et Andy Wachowski en janvier. (AFP)
publié le 3 février 2015 à 17h56

Jupiter : le Destin de l'univers sort le 6 février sur le territoire nord-américain. La semaine dernière, une projection était organisée pour une poignée d'invités (mais aucun journaliste n'était convié) dans le cadre du festival de Sundance. Selon le site internet du magazine Variety, le film n'a guère soulevé d'enthousiasme : «Malgré la hype d'une séance secrète, des rangs entiers de la salle de 300 places restaient vides.» Le journaliste cite quelques avis d'anonymes glanés à la sortie de la projection. Parmi lesquels : «C'est ridicule !» ou surtout «En fait, c'est un mélange de plein de choses mises ensemble». Ce dernier commentaire, pas franchement sympathique, résume pourtant avec précision l'aspect kaléidoscopique du cinéma de Lana et Andy Wachowski, leur aptitude à pétrir leurs films-mosaïques de matières diverses, du jeu vidéo à la série animée.

Cartouche. Ce Jupiter : le Destin de l'univers signe le retour du tandem de cinéastes à un scénario dont ils sont les auteurs. Leur dernier film, Cloud Atlas, était l'adaptation de Cartographie des nuages, de David Mitchell, Speed Racer portait à l'écran le manga sixties du même nom. Quant à V pour Vendetta (2006), qu'ils produisirent, il est tiré du roman graphique d'Alan Moore et David Lloyd. Le 29 janvier, le Wall Street Journal citait Lana Wachowski : «Ces quinze dernières années ont fonctionné avec […] des choses que l'on a "rebooté" encore et encore, comme le font les enfants avec les contes.»

En ce sens, dans la filmographie des Wachowski, Jupiter… est à rapprocher de la trilogie Matrix. Au générique, on retrouve quelques-uns de leurs collaborateurs sur les aventures de Neo : la costumière Kym Barrett, John Gaeta et Dan Glass aux effets spéciaux, Dane Davis au son ou le décorateur Hugh Bateup. Comme s'ils voulaient rééditer le coup des trois films (1999, 2001 et 2003) qui rapportèrent 1,5 milliard de dollars (1,3 milliard d'euros), chiffre auquel il faut ajouter les recettes des jeux vidéo et autres objets de franchise, offrant à la fratrie la possibilité de s'autoriser n'importe quoi par la suite. Aux stricts dires des financiers, c'est ce qu'ils firent : les merveilleux Speed Racer et Cloud Atlas ont été des flops, surtout aux Etats-Unis. Jupiter… a tout de la troisième cartouche que leur laisserait la Warner - cartouche à 175 millions de dollars.

Hollywood entretient avec les Wachowski un rapport rare. Cette relation trouble a une dimension quasi intime, surtout après le très commenté coming-out trans de Lana Wachowski en 2012, laissant au duo une sorte de liberté autorisée par leur génie. Une anecdote résume ce caractère émotionnel : en 1995, le duo avait écrit le scénario d'Assassins, film d'action de Richard Donner. Le script avait été complètement réécrit par Brian Helgeland, au point que les deux (alors) frères avaient demandé à être supprimés du générique. Ce serait pour leur faire amende honorable que le producteur Joel Silver avait débloqué plus de 60 millions de dollars de budget pour Matrix en 1999, offrant une merveilleuse carte à jouer à ceux qui n'étaient que les auteurs du confidentiel Bound.

Hybride. Le mystère du système Wachowski réside dans leur capacité, après des échecs retentissants, à écrire et faire financer des films encore plus chers, encore plus ambitieux. Il n'y a semble-t-il pas de plan de carrière chez eux, comme peuvent en donner l'impression par exemple les frères Coen, écrivant et tournant pour accumuler statuettes, bonnes critiques et entrées au box-office. Leur statut hybride entre auteurs indé et maxi-producteurs tient en haleine les agents hollywoodiens qui rêvent de voir leur pouliche apparaître dans leurs épopées. Ainsi, pour Jupiter… , Natalie Portman, Rooney Mara ou Joseph Gordon-Levitt auraient bataillé pour obtenir un rôle. Sans succès.

Ils sont aussi les auteurs, avec Cloud Atlas, du film indépendant le plus cher de l'histoire. Ils échappent à un système qu'ils surplombent, sont des personnages eux-mêmes. L'une a des dreadlocks roses et l'autre le crâne rasé et le corps épais d'un redneck. Leur duo de réalisateurs semble fictif, comme venu d'un Hollywood de science-fiction, façonné par les Wachowski.